5 ans de la loi du 10 juillet 2019 interdisant les violences éducatives ordinaires : bilan et perspectives
Le 10 juillet 2019 était promulguée la loi qui insère un nouvel alinéa dans l’article 371-1 du code civil : “L’autorité parentale s’exerce sans violences physiques ou psychologiques.”
La France devenait à cette occasion le 56ème État du monde à interdire les châtiments corporels sur les enfants.
Depuis cette date, StopVEO, Enfance sans violences s’est efforcée de la faire connaître pour qu’elle soit appliquée.
Les actions de StopVEO depuis 2019
L’information et la sensibilisation du public
StopVEO fait connaître la loi du 10 juillet 2019 et informe le grand public de ce que sont les violences éducatives ordinaires et de leurs conséquences à court terme et à long terme. Cette information passe par des campagnes de sensibilisation réalisées avec Publicis et diffusées à la télévision et sur notre chaine YouTube : Les mots qui font mal (octobre 2017), Les mots que je ne te dirais pas (mai 2020), Un dialogue (automne 2021) et L’héritage (avril 2024).
StopVEO partage également l’information sur les violences éducatives ordinaires à travers son site internet (www.stopveo.org), les réseaux sociaux : Facebook (35 500 abonnés), Instagram (plus de 15 000 followers), LinkedIn (plus de 4 900 abonnés) et X (plus de 3 600 abonnés) et sa chaîne YouTube.
StopVEO crée et diffuse des outils de sensibilisation, gratuits, en libre téléchargement sur son site internet : des affiches, des flyers et des guides de secours, dont certains sont traduits en anglais, en espagnol et en arabe. Ces guides rencontrent un énorme succès, tant auprès des parents que des professionnels. Ils abordent des moments de la vie de tous les jours (les repas, le sommeil, les courses au supermarché, la salle d’attente, les moments de séparation et de retrouvailles, les colères et les pleurs du nourrisson) et donnent des clés pour ne pas recourir aux VEO.
StopVEO réalise, auprès du grand public et des professionnels, sa conférence sur la violence éducative ordinaire qui détaille les points suivants :
- la définition et l’étendue des violences éducatives ordinaires (VEO)
- les VEO dans notre société et le lien avec la maltraitance
- les effets des VEO à court terme
- les effets des VEO à long terme
- l’interdiction des VEO par la loi du 10 juillet 2019 dans le contexte international des droits de l’enfant
- une éducation sans violences est possible : les messages clés
- nos outils de prévention
Cette conférence a été donnée à plus de 40 reprises depuis 2019, avec une nette accélération depuis fin 2022, dans des communes, des Relais Petite Enfance, des crèches et des centres sociaux notamment. Cette conférence remue les participants car elle renvoie chacun et chacune à son enfance ; elle est également porteuse d’espoir en donnant des messages-clés. Elle ne donne pas de modèles éducatifs à suivre car le chemin de la non-violence éducative n’est pas un chemin tout tracé où il n’y aurait qu’une seule façon de faire. L’idée est avant tout de changer de regard sur l’enfant et d’envisager les rapports adulte-enfant d’une manière qui soit respectueuse de chacun.
La formation des professionnels
StopVEO s’est constitué organisme de formation en 2022 et a débuté ses premières formations à la prévention des VEO en 2023. Une formation socle de 7 heures donne, à l’équipe formée, un langage commun sur ce que sont les violences éducatives ordinaires et sur leurs conséquences ; elle permet aussi d’amorcer un changement de posture pour que le professionnel sache comment intervenir auprès d’un parent ou d’un autre professionnel qui commettraient une violence éducative ordinaire.
Parmi les 749 professionnels formés à date, figurent une grande variété de métiers de la petite enfance, de l’animation, du périscolaire et de la protection de l’enfance : des auxiliaires de puériculture, des éducateurs de jeunes enfants, des assistant.e.s maternel.les, des agents de restauration et d’entretien, des animateurs et animatrices, des référent.e.s familles, des éducateurs spécialisés, des médecins… Le taux global de satisfaction est de 90 %.
Le soutien aux parents
StopVEO propose, depuis juillet 2022, des ateliers, gratuits pour les parents, de soutien vers une éducation non violente ; ce sont les ateliers “être parent par tous les temps”. Les structures qui font appel à StopVEO pour animer ces ateliers (centres d’hébergement d’urgence, centres sociaux, EAJE…) offrent aux parents un espace d’échanges sur leur parentalité. Le but est de trouver collectivement et individuellement des solutions, non violentes, aux situations de blocage rencontrées avec leur enfant. Les parents n’osent parfois pas échanger sur ces sujets avec les professionnels qui accueillent ou accompagnent leur enfant au quotidien. Des sujets peuvent devenir tabous. L’atelier bénéficie aux parents participants mais rayonne aussi auprès des autres parents et professionnels de la structure qui peuvent profiter des acquis de l’atelier. 29 ateliers ont été animés à date.
Et l’État français ?
La loi du 10 juillet 2019 permet à l’État français de contribuer au respect de l’article 19 de la convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) mais la loi n’est pas suffisante. Car, de l’article 19 découle pour l’Etat une obligation de protéger les enfants de toute forme de violence ; les mesures législatives ne sont qu’un aspect de cette protection. L’article 19 cite en effet aussi les mesures administratives, sociales et éducatives.
“Les États parties prennent toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l’enfant contre toute forme de violence, d’atteinte ou de brutalités physiques ou mentales, d’abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d’exploitation.”
L’État ne saurait faire porter la responsabilité d’une éducation sans violences sur les seules épaules des parents avec la loi du 10 juillet 2019. Ce sont bien tous les adultes, y compris les professionnels de la petite enfance, de l’éducation nationale, des temps périscolaires et des activités extra-scolaires, qui doivent protéger l’enfant contre toute forme de violence. La Convention est claire sur ce point.
Aussi, l’État doit réaliser un véritable travail d’information et d’accompagnement des parents et de formation des professionnels à la protection des enfants des violences, dont les violences éducatives ordinaires sont le modèle le plus fréquent, le plus répandu et le plus banalisé.
Ces violences étant éducatives, c’est-à-dire commises “dans le but d’éduquer”, elles se différencient ainsi de toutes les autres formes de violences faites aux enfants. Les adultes pensent bien faire et n’ont souvent pas conscience de commettre des violences. Et c’est là tout l’enjeu de la lutte contre les VEO : elles paraissent encore tolérées, voire même plébiscitées. Ainsi, le baromètre IFOP pour la Fondation pour l’Enfance paru en juin 2024 révélait que “60% des sondés pensent que la loi [du 10 juillet 2019] constitue une intrusion de l’État dans les affaires privées, une opinion en hausse de 9 points par rapport à 2022.” De même, “69% des Français en ont entendu parler [de la loi] (contre 63% en 2022)”. De manière globale, “les parents se sentent globalement mieux informés sur ce qui constitue ou non une VEO et sur les actions à mettre en place pour éviter les violences éducatives (+10 points par rapport à 2022)” mais le recours aux violences éducatives ordinaires reste stable puisque
“8 parents sur 10 ont eu recours à au moins une violence éducative ordinaire dans la semaine précédant leur sollicitation pour cette enquête (81%, +2 points) et la moitié a eu recours à au moins trois VEO (53%, + 4 points)”.
Sur le sujet spécifique des violences éducatives ordinaires dans le sport, le sondage révèle que :
“près de la moitié des parents interrogés jugent qu’il est difficile voire impossible d’entraîner un enfant sans crier, 34% sans le punir et 26% sans le gifler ou lui donner une fessée. Pire, 33% pensent qu’un enfant ne peut atteindre un haut niveau sans le soutien de son entraîneur, même si cela implique des violences psychologiques, verbales voire physiques.”
Les violences éducatives ordinaires ont pourtant des conséquences délétères sur l’enfant. Les conséquences sur la santé ainsi que sur le développement de l’enfant sont démontrées par de très nombreuses études. Quant aux conséquences sur le non-respect de l’intégrité physique et psychologique des enfants, elles contreviennent directement à l’article 19 de la CIDE. Elles ouvrent ainsi grand la porte aux autres formes de violences.
Une éducation sans violences : un droit pour les enfants, un devoir pour les parents et une obligation de protéger pour l’Etat
Nous demandons donc à l’État de :
- réaliser des campagnes globales d’information sur l’interdiction des violences éducatives ordinaires (en s’inspirant notamment de ce qui a été fait au pays de Galles à la télévision), pour que chacun sache que la violence sur les enfants n’est plus admise – la réalisation de telles campagnes est préconisée dans le Rapport de la commission des 1000 premiers jours,
- établir un référentiel national sur les violences éducatives ordinaires et l’éducation non violente afin qu’il ne puisse y avoir d’équivoque sur ces notions,
- inscrire l’interdiction de toutes les violences sur les enfants, y compris les violences éducatives ordinaires, dans le carnet de santé,
- obliger tous les professionnels (de santé, de l’animation, de la petite enfance, de la protection de l’enfance et de l’éducation nationale notamment), à se former, dès la formation initiale, à la prévention des violences éducatives ordinaires,
- faire respecter l’obligation de formation à la prévention des VEO qui incombent aux assistant.e.s maternel.le.s depuis la loi du 10 juillet 2019,
- proposer aux futurs parents et aux jeunes parents des entretiens de sensibilisation, avant ou après la naissance, sur l’éducation non-violente – les parents ont clairement besoin d’être soutenus sur le sujet.
StopVEO rappelle que l’éducation sans violences n’est pas une mode mais bien un mouvement mondial global amorcé par la convention internationale des droits de l’enfant depuis 1989. L’éducation non violente n’est pas une éducation sans limites et sans cadre. Le cadre, lorsqu’il n’est ni trop rigide, ni trop souple, permet à l’enfant de grandir de manière épanouie et respectueuse.
La prévention des violences éducatives ordinaires est fondamentale : les VEO restent le terreau de la maltraitance. Lutter contre les VEO, c’est augmenter la confiance en soi et l’estime de soi des enfants ; respecter les besoins et les émotions des enfants ; réduire le risque de stress, d’anxiété, de dépression et de suicide chez les adultes ; réduire les comportements à risque (addictions notamment) et réduire les violences conjugales et les violences intrafamiliales au sens large. Osons transformer notre société en refusant l’héritage de la violence !
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Sources
Nos campagnes
- Les mots qui font mal : https://www.youtube.com/watch?v=m9LaMwc57Qs
- Les mots que je ne te dirais pas : https://www.youtube.com/watch?v=T9_I2ifc5go&t=39s
- Un dialogue : https://www.youtube.com/watch?v=TI3JeVxSZTQ&t=8s L’héritage : https://www.youtube.com/watch?v=3wXAbcv1IKk
- L’Héritage : https://www.youtube.com/watch?v=3wXAbcv1IKk
Nos outils de sensibilisation : https://stopveo.org/outils-sensibilisation/
Nos guides de secours : https://stopveo.org/outils-sensibilisation/affiches-flyers/#guides-secours
Nos formations : https://stopveo.org/se-former/
Le baromètre IFOP pour la Fondation de l’Enfance 2024 : https://www.ifop.com/publication/les-violences-educatives-ordinaires/
Les études montrant les conséquences des VEO avec notamment les deux méta-analyses réalisées par E. Gershoff en 2016 (à partir de 75 études publiées sur une période de 50 ans et impliquant un total de 160 927 enfants) et 2022 (à partir de 88 études) :
- Gershoff, E. T., « Corporal punishment by parents and associated child behaviors and experiences: A meta-analytic and theoretical review », Psychological Bulletin, vol. 128, no 4, p. 539-579 (2002)
- E. T. Gershoff, Report on physical punishment in the United States: what research tells us about its effects on children, Colombus,Ohio, Center for Effective Discipline, 2002
- Gershoff, E. T., & Grogan-Kaylor, A. (2016). Spanking and child outcomes: Old controversies and new meta-analyses. Journal of Family Psychology, 30(4), 453–469. https://doi.org/10.1037/fam0000191
La campagne du Pays de Galles Ending physical punishment in Wales: Not Here (2022) : https://www.youtube.com/watch?v=FcCXL6lQjMM
Le rapport de la commission des 1000 premiers jours, septembre 2020 : https://sante.gouv.fr/IMG/pdf/rapport-1000-premiers-jours.pdf